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► Le Quotidien d'Oran : Raina Raikoum le 22 juin 2015

Pendant le ramadhan, les journées s'allongent, durent et se ressemblent, rythmées par le cycle des ombres qui naissent et disparaissent pour renaître à l'endroit mais pas à la même heure. Paradoxe d'une situation, le soleil de l'aube géniteur de la lumière, ralentit la vie et étreint les âmes, le crépuscule obscur les réanime et leur rend leur sourire perdu dans les amas entassés sur les étals. Le pendule balancier s'affole ! Les panses, les gésiers, les cæcums tout ce qui rappelle le tube nutritif devient le centre de l'univers digestif. Les préparatifs du festin commencent, assez tôt, et prennent un temps fou. La bouffe devient une raison d'Etat et une affaire de sous. Le ministère du ravitaillement et celui des affaires du sacré sont les plus visibles et les plus inquiets ; le premier en alerte, a l'œil sur la mer et la rade et les containers, le second scrute le ciel pour trouver le croissant de lune et modère les excités et les zélés pour ne pas en faire trop, le temps leur est chronométré.

Le syndicat improvise et plagie les ex marchés islamiques, dresse des stands et installe des stalles devant sa centrale, opération furtive de séduction, mais qui veut-on séduire ? Ils ne sont plus charmeurs, personne ne les voit ! Croient-ils qu'ils sont visibles ? Le pays est devenu un ogre omnivore, dévoreur de tout, son antre est sa raison d'exister. Les ports déversent des produits alimentaires, des ustensiles de cuisine, de la vaisselle en containers, de partout, dans le monde. C'est aussi l'occasion pour les ménagères de relooker leurs maisons et rénover ce qu'elles peuvent et elles le peuvent, le pétrole est un don de Dieu. Bientôt les ventres seront, directement, reliés par le Nil satellitaire, aux puits de l'énergie fossile. Allongez-vous et ruminez, dit l'adage populaire. Autrefois le jeûne commençait avant le petit matin, avec le passage du crieur dans les rues et se rompt au son du canon juste après le coucher; aujourd'hui, remplacés par les porte-voix des minarets qui se font concurrence pour le crier haut et fort, et effacer le muezzin d'à côté et celui de la télévision aussi. Entre ces rendez-vous l'activité décline et courbe l'échine des moins jeunes, sur fond de triste léthargie, la vie semble arrêter, mis a part les marchés pris d'assaut, les boulangeries cernées et les marchands de zlabia' encerclés par le monde agglutiné des jouisseurs aux gros intestins gavés pour une éternité, encore.

Le temps s'écoule lentement pour ceux qui ont, à en revendre aux siestes et aux reptiles du jurassique. Des jeunes hommes inversent l'horloge biologique, ils s'endorment du bout à l'autre bout de la journée. Le creux de l'estomac leur fait peur, la fringale les dérangent, alors ils tuent le temps pour ne pas se faire tuer. Après le gavage aux plats colorés, aux saveurs délicieuses, du salé, du sucré de l'épicé et du piquant et de l'acide; le plein de réservoir fait, la tête commence à chanter de la prose et des rimes en mélodie enivrante sur des notes nostalgiques. Les uns rappellent que le ramadhan n'est pas que bourrage de ventricule bedonnant, mais c'est surtout des moments de méditations et de bienfaisance, les autres le savent mais le font, mécaniquement, en saisonniers gardiens narcissiques de rites, ils veulent marquer leur présence et apparaître dans le visible, pour être vus. Hypocrisie maladive ! Les rues hier, tristement mélancoliques et vides, s'illuminent tout à coup, comme par magie d'un illusionniste charitable et peiné de voir l'endroit plat et désolé, sans souffle, témoin de la «non-vie». Les espaces deviennent , peu à peu, exigus et la promiscuité se fait sentir. Les commerces grouillent de lèches vitrines, les cafés et salons de thé et les crémeries sont bondées, les parkings jonchés. L'allégresse est partout visible, l'Homo-algérianus a muté, le temps d'un mois, mais seulement en soirée, il est le joyeux pas jaloux, il est le bon vivant, il est collé au bras de sa femme, sa sœur, sa fille, sa copine, sa fiancée, sa mère, il n'est plus devant elle, elle n'est plus derrière lui ! Il n'est plus cet énergumène complexé par le deuxième sexe qui lui fait peur et l'émascule. Il déambule, il fait les boulevards et les parcs d'attraction en famille, en groupe d'amis, jouent aux jeux de société. Les villes s'égaient et proposent une culture de proximité, parfois improvisée, tant recherchée, de l'animation sans gabegie et loin des officiels allergènes, indésirables et pollueurs d'atmosphère, chose entièrement banale chez les voisins. Enfin tout y est pour dissoudre l'essentiel dans l'accessoire, c'est le propre des sociétés allongées sur le dos, scrutant le ciel, la bouche béante et l'estomac sécrétant du suc gastrique en abondance.

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